Franck de Crescenzo présentant sa maison d'édition

Retour sur la Rencontre de l’édition indépendante à Marseille

Le 18 février a eu lieu à la Bibliothèque dépar­te­men­tale la 5e Rencontre de l’édition indé­pen­dante co-orga­ni­sée avec l’Agence régio­nale du livre PACA. Le thème choi­si, « Une ren­trée lit­té­raire en région est-elle pos­sible ? », a per­mis d’articuler la pro­blé­ma­tique de la place faite à l’édition indé­pen­dante régio­nale à celle des solu­tions de com­mu­ni­ca­tion dont elle dis­pose pour pro­mou­voir ses livres.

Connaître les goûts et les couleurs de la presse locale…

Alors que la pro­duc­tion édi­to­riale aug­mente tous les ans mais que le réseau de librai­ries dimi­nue, l’enjeu pour les édi­teurs est de trou­ver des solu­tions pour aug­men­ter la visi­bi­li­té de leur cata­logue et faire en sorte que leurs auteurs soient iden­ti­fiés. Une ren­trée lit­té­raire, est un temps fort de mise en avant de la pro­duc­tion, à des­ti­na­tion de dif­fé­rents cercles de média­tion et du lec­teur final. Les jour­na­listes sont bien enten­du un des maillons impor­tants dans ce che­mi­ne­ment des livres. Pascal Jourdana (émis­sion À l’air livre sur Radio Grenouille), Thibaut Gaudry (France Bleu Provence) et Patrick Coulon (Marseille L’Hebdo) ont expo­sé au cours d’une table ronde leur fonc­tion­ne­ment et leurs points de vue. Tout d’abord, les for­mats, espaces et temps consa­crés au livre dépendent d’une ligne édi­to­riale défi­nie par la direc­tion des médias (Sauf pour Pascal Jourdana, libre dans ses choix qui s’orientent vers ses affi­ni­tés lit­té­raires). L’éditeur a donc tout inté­rêt à bien cer­ner la ligne édi­to­riale et les goûts des jour­na­listes (sur France Bleu Provence on ne parle que de livres sur la région et non pas fabri­qués dans la région). Sur la ques­tion du ser­vice de presse, les édi­teurs n’en envoient plus autant qu’avant, ils pré­fèrent envoyer d’abord un mail puis en cas de retour du jour­na­liste, ils envoient le SP. Pascal Jourdana a pré­ci­sé qu’un SP peut déclen­cher une envie, alors qu’on peut pas­ser à côté d’un mail. Tous étaient d’accord sur la néces­si­té de les relan­cer par mail de toute façon. Les jour­na­listes ont eux-mêmes admis que la presse est un enton­noir par lequel ne passe qu’une par­tie de la pro­duc­tion édi­to­riale, un point de ren­contre entre la curio­si­té d’un jour­na­liste et la pas­sion d’un éditeur…

Table ronde : Danielle Maurel, Pascal Jourdana, Thibaut Gaudry et Patrick Coulon
Table ronde : Danielle Maurel, Pascal Jourdana, Thibaut Gaudry et Patrick Coulon

Une meilleure visibilité grâce aux lieux de médiation

D’autres solu­tions com­plé­men­taires peuvent aider les édi­teurs à acqué­rir plus de visi­bi­li­té et d’audience. À com­men­cer par le tra­vail que font les média­teurs cultu­rels dans les ren­contres et fes­ti­vals. Le pro­blème étant que ces mani­fes­ta­tions sont sou­vent fré­quen­tées par le milieu lit­té­raire local certes actif et pas­sion­né, mais par défi­ni­tion limi­té. Il a été obser­vé que si les auteurs peuvent se sen­tir assez mal­heu­reux dans le jeu média­tique d’une ren­trée lit­té­raire dont ils se sentent sou­vent exclus, en revanche les ren­contres où ils viennent par­ler de leur texte ou s’ils le pré­fèrent, en lire un extrait, les satis­fait mieux et impacte davan­tage le public. Rozenn Guilcher qui a fait à l’assistance une superbe lec­ture des pas­sages de son livre Futura paru aux édi­tions Sulliver a expli­qué avoir l’impression lors de ces ren­contres qu’elle « réou­vrait dans le monde un objet, qui fer­mé, est une matière morte. »

Au sujet de média­tion et d’édition numé­rique, la struc­ture édi­to­riale 2h60 est inter­ve­nue pour annon­cer la créa­tion future d’un Petit Labo de l’édition numé­rique à La Boate, conçu comme un lieu de valo­ri­sa­tion des « écri­vants » et de ren­contre du lec­to­rat, réponse on ne peut plus adap­tée aux pro­blé­ma­tiques de la visi­bi­li­té sur le web pour les mai­sons d’édition numé­riques et les auteurs auto-édités.

Créer des liens privilégiés avec les librairies et les bibliothèques 

Les librai­ries et les biblio­thèques sont par ailleurs les lieux pri­vi­lé­giés de l’organisation phy­sique de la pro­duc­tion édi­to­riale pour une meilleure lisi­bi­li­té par les clients et usa­gers. Mais ce sont bien sûr éga­le­ment des lieux de média­tion, de ren­contre, de pas­sage de lec­teurs et d’ « écri­vants ». Elles pro­duisent aus­si du conte­nu sur les livres lus pour la presse spé­cia­li­sée (Dazibao, Page) ou leurs propres sites inter­net, blogs ou news­let­ters. Des relais indis­pen­sables donc, mais sou­vent débor­dés et davan­tage tour­nés vers les lec­teurs que les édi­teurs. Or, les repré­sen­tants ont de moins en moins de temps à consa­crer à chaque libraire, et axent leurs pré­sen­ta­tions sur les nou­veau­tés et non sur les cata­logues. C’est pour­quoi Raymond Tamisier (librai­rie L’Alinéa, récem­ment cédée) a évo­qué la néces­si­té de mettre en place une sur­dif­fu­sion, soit une rela­tion indi­vi­dua­li­sée entre le libraire et l’éditeur pour que ce der­nier puisse mieux pré­sen­ter en pro­fon­deur son cata­logue. En biblio­thèque, l’idée a été émise de créer des comi­tés de lec­ture de la pro­duc­tion indé­pen­dante régionale.

Et le lecteur dans tout ça ?

Enfin il est appa­ru que les mai­sons d’édition avaient grand inté­rêt, en terme de com­mu­ni­ca­tion, à s’adresser éga­le­ment direc­te­ment au des­ti­na­taire final, soit au lec­teur. À ce titre, le témoi­gnage des édi­tions aixoises Decrescenzo a été exem­plaire. La mai­son d’édition spé­cia­li­sée en lit­té­ra­ture coréenne a mis en place un véri­table appa­reil de dif­fu­sion en ligne au tra­vers de la revue lit­té­raire KeulMadang ados­sée à la mai­son d’édition (dont une ver­sion papier dis­tri­buée en librai­rie existe aus­si), une chaîne YouTube et la dis­po­ni­bi­li­té (bien­tôt ?) de leurs livres en numé­rique (plus petits prix). Les réseaux sociaux sont par ailleurs incon­tour­nables pour tou­cher direc­te­ment le lec­teur, de même qu’il peut être utile d’avoir une cer­taine vision de la blo­go­sphère lit­té­raire, en ce qu’elle consti­tue un public de lec­teurs réin­ves­tis­sant le champ lit­té­raire, et donc poten­tiel­le­ment prescripteur.

De la circulation dans le champ littéraire

Une jour­née riche de réflexions et d’idées échan­gées, par­fois de petites incom­pré­hen­sions, car la pro­blé­ma­tique ter­ri­to­riale n’apparaît pas essen­tielle à tout le monde, et les goûts lit­té­raires sont impor­tants éga­le­ment. En résu­mé, dans le monde de l’édition indé­pen­dante, l’éditeur a for­cé­ment plu­sieurs cas­quettes : la fabri­ca­tion, la dif­fu­sion, la com­mu­ni­ca­tion… Il est amu­sant de consta­ter qu’il est aidé dans sa tâche par d’autres acteurs qui eux aus­si cir­culent spon­ta­né­ment dans le champ lit­té­raire : des libraires et des biblio­thé­caires qui chro­niquent leurs lec­tures, des jour­na­listes qui écrivent de la lit­té­ra­ture, des auteurs qui com­mu­niquent, des média­teurs qui deviennent jour­na­listes à la radio, des lec­teurs qui écrivent… Un objec­tif com­mun anime pour­tant ce petit monde : la ren­contre avec la création.

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